vendredi 20 mai 2011

Bonne chance aux Tunisiens !

Depuis la restauration de leur indépendance, les Tunisiens goûtent pour la première fois au bonheur d’avoir chassé un dictateur. Après la longue dictature de Bourguiba, ils viennent de mettre fin à 23 ans de règne de ben Ali. Leur joie, leur fierté, leurs immenses espoirs nous touchent, car nous avons connu comme eux, et nous subissons encore aujourd’hui, le malheur de devoir vivre sous la férule de dirigeants non choisis, voleurs de libertés.

L’indulgence ou la complicité active dont les deux dictateurs tunisiens ont bénéficié de la part de pays se posant en chantres de la démocratie et des droits de l’homme ont amené les Tunisiens à devoir attendre cinquante ans avant cette éclaircie. Et ce n’est qu’une fois le dictateur vaincu que ces pays volent maintenant au secours de la victoire et assurent vouloir se tenir aux côtés du courageux peuple de Tunisie.

Chaque avancée de la démocratie en Afrique ne peut que nous réjouir et nous réconforter.

Souhaitons le meilleur aux Tunisiens dans la tâche de refondation d’un Etat démocratique à laquelle ils doivent maintenant s’atteler.

Comparaison avec Madagascar

On ne le sait pas assez, mais en 50 ans, Madagascar a donné plusieurs fois un exemple réussi de lutte contre un dictateur. On ne le sait pas assez parce que l’ancienne puissance coloniale qui mit en place le club des dictateurs dans toute l’Afrique francophone afin qu’elle demeurât son "pré carré", manoeuvra à chaque fois pour bannir ces mauvais exemples malgaches des médias français et internationaux.

L’éloignement et l’insularité de Madagascar rendaient le silence média plus facile qu’au Maghreb.

Ainsi, alors que les Houphouët Boigny, Léon Mba, Mobutu et autres présidents à vie, rebaptisés pour la bonne cause « grands sages de l’Afrique » pour avoir imposé à coups d’atteintes à toutes les libertés la stabilité dans le fameux pré carré, continuaient à sévir, une première révolution pacifique dont le moteur fut la jeunesse malgache mit fin en mai 1972 au régime de plus en plus autoritaire de Philibert Tsiranana que ses thuriféraires voyaient en président à vie. Très peu de monde en fut informé en dehors de Madagascar.

En 1991-1992, neuf mois de manifestations non violentes appuyées par une longue grève générale des travailleurs eurent raison du régime du capitaine de frégate Didier Ratsiraka, élu démocratiquement en 1977, devenu amiral par la grâce d’une assemblée aux ordres, et dont les promesses de lendemains qui chantent furent ensevelies sous le désir contagieux d’une présidence à vie. Malgré la présence de nombreux journalistes étrangers, lors des manifestations qui drainèrent alors quotidiennement plusieurs centaines de milliers de personnes sur la principale avenue d’Antananarivo, cette lutte victorieuse du peuple malgache ne fit la une des journaux et des télévisions ni en Europe ni ailleurs dans le monde. Le choix de combattre la violence par la non violence dans le droit fil de Gandhi et de Martin Luther King aurait pourtant mérité davantage d’attention et de respect dans un monde de plus en plus violent. C’est que le bouillant Didier Ratsiraka qui avait dirigé la renégociation des accords de coopération avec la France et avait osé nationaliser les grandes sociétés françaises issues de la colonisation s’était entre temps assagi et avait intégré le club et les règles du jeu de la Françafrique.

Le peuple malgache dut livrer un nouveau combat en 2001-2002 pour faire respecter son vote après les élections présidentielles de décembre 2001 qui opposa Marc Ravalomanana à Didier Ratsiraka, réélu de justesse en 1997 face au président sortant d’alors, Zafy Albert.

Comme en 1991, des manifestations pacifiques quotidiennes rassemblèrent des foules qui feraient rêver les politiciens et les syndicats en Europe ou aux Etats-Unis. Certains jours, près d’un million de personnes se trouvèrent réunies sur la place du 13 mai à Antananarivo, sans qu’une seule vitrine de magasin fût brisée. Cette lutte non violente commencée en décembre 2001 ne prit fin qu’en juillet 2002 avec la reconnaissance internationale de l’élection de Marc Ravalomanana. Qui, en Europe, aux Etats-Unis, au Maghreb et Afrique sub-saharienne a été informé de cette magnifique épopée non violent du peuple malgache ?

Quelques diplomates, les patrons de multinationales ayant des intérêts à Madagascar, mais surtout pas le public français ou africain. D’autant que Marc Ravalomanana n’était pas le bienvenu, mais constituait, comme Zafy Albert en 1992, un exemple dérangeant.


Attention, une victoire peut être confisquée !

S’il y a une leçon qui peut être tirée par les citoyens malgaches, c’est que la victoire est fragile.
Elle l’est d’autant plus que la dictature a duré longtemps : les réseaux politiques et les réseaux financiers des dictateurs déchus ont eu le temps de se développer et de s’ancrer profondément dans le pays et à l’extérieur. Ces réseaux gardent longtemps une grande capacité de nuire.

L’affaiblissement des valeurs morales et civiques, fruit inévitable d’un régime dictatorial chez les hauts fonctionnaires de l’administration et chez les opérateurs économiques ayant bénéficié des dérives du régime, constitue une autre menace grave pour la pérennisation du changement pour lequel les citoyens de base ont pourtant risqué leur vie.

Enfin, les puissances étrangères ayant apporté leur appui intéressé aux dictateurs, demeurent des adversaires potentiels des dirigeant ayant succédé à leurs poulains. C’est là, sans doute, le risque le plus grand encouru par les nouveaux régimes démocratiques.

Les Malgaches paient très cher aujourd’hui leur victoire de 2002 : un coup d’Etat savamment orchestré dès janvier 2009 plonge leur pays depuis deux ans dans un chaos institutionnel sans précédent. A la déliquescence de l’Etat s’ajoutent la violence sous toutes les formes, la destruction de l’économie, la confiscation de toutes les libertés individuelles et collectives, l’aggravation quotidienne de la pauvreté, avec tout ce que cela entraîne comme travail de sape contre les valeurs qui avaient permis les victoires de 1972, 1991 et 2002.

Ces valeurs étaient le refus de la violence, la ténacité, le courage de surmonter la peur, le sens de la solidarité et du partage.

Elles sont mises à très rude épreuve dans l’atmosphère qui règne actuellement à Madagascar.

Puissent les évènements de Tunisie rappeler aux Malgaches aujourd’hui éprouvés que nulle dictature n’est invincible.

Puissent leurs luttes passées et les victoires durement arrachées leur demeurer comme autant de références porteuses d’espoir.

La non violence pour défendre la légalité : la voie étroite choisie par les légalistes malgaches

Malgré l’indignation légitime face au putsch qui a forcé un président élu à l’exil, face à la suspension du parlement composé d’élus, face à la suppression de la liberté de manifester, face à la fermeture des médias neutres ou d’opposition, face à l’emprisonnement des opposants, face aux actes de violence et d’intimidation, les légalistes malgaches maintiennent le choix de la lutte non violente qui a été le leur jusqu’ici. Pour deux raisons : la première morale, la seconde politique.

Garder une supériorité morale

Les combats victorieux pour la liberté et la démocratie de 1972, 1991 et 2002 amènent à faire deux constats essentiels : les Malgaches répugnent à verser le sang, mais ils sont par contre capables d’une détermination et d’une endurance admirables dans leur opposition non violente à un régime autoritaire.
Ceux qui ont pris la peine de se mêler aux centaines de milliers de manifestants pacifiques le jour de la grande marche sur le siège du gouvernement en mai 1972, ou durant les six mois de lutte citoyenne sur la Place du 13 mai en 1991, ou encore lorsque en 2002 jusqu’à neuf cent mille personnes se trouvèrent rassemblées sur cette même place ainsi que dans l’avenue y menant, ceux-là savent une chose : les modestes citoyens de base malgache (contrairement aux nantis plus soucieux de protéger leurs privilèges) sont capables d’un immense courage et d’accepter tous les sacrifices pour défendre ce qu’ils croient être juste.

Ils opposent alors aux armes une force tranquille inébranlable, nourrie par la fraternité, par le sens du partage et par une obstination sans pareille dans la poursuite du but à atteindre.
Cette patience dans l’épreuve trouve sa source dans la mentalité collective des Malgaches, mentalité concrétisée par leur attachement au fihavanana (Concept relationnel régissant la vie en société et visant le maintien de relations harmonieuses).
La préférence donnée à la lutte non violente, pourtant bien plus difficile et plus éprouvante, trouve ainsi sa récompense dans une victoire sans remords, qui laisse également la possibilité de renouer les fils momentanément rompus du fihavanana auquel nul Malgache ne veut et ne peut renoncer.
Il est vrai que cette fois-ci, le contexte est différent : pour la première fois en effet, un coup d’Etat a été perpétré à Madagascar, avec toutes les dérives inévitables que cela entraîne.
Persister dans l’opposition non violente face à un pouvoir illégal né de la violence et qui ne peut se maintenir que par la violence est bien plus difficile, car un tel pouvoir ne se soucie pas de maintenir ne fût-ce qu’une apparence de démocratie.
Et cependant, il était indispensable de sauvegarder la supériorité morale que confère la non violence, car cette supériorité morale est exigée par le fihavanana, cette spécificité de la culture traditionnelle dont peuvent s’honorer à juste titre les Malgaches. La plus grande marque de patriotisme que les légalistes pouvaient ainsi donner à la Grande Ile en ces temps difficiles, était donc de protéger cette spécificité culturelle, véritable pilier de l’organisation sociale malgache, menacée depuis deux ans par les abus et les provocations du pouvoir putschiste.

La non-violence est une politique plus payante à terme

Comme nous l’avons écrit à maintes reprises dans plusieurs de nos numéros, il sera mis fin, tôt ou tard à ce régime illégal et illégitime.
Or, l’héritage à gérer par les dirigeants démocratiquement élus est toujours lourd après une dictature : économie détériorée, explosion du chômage qui en découle, corruption généralisée, perversion du système judiciaire, insécurité du fait de la dispersion des armes, attente de solutions miracles de la part de la population réduite à l’état de survie.
Répondre par la violence à la violence ne pourrait qu’alourdir encore le passif à gérer après le retour de la légalité républicaine.
Seuls les assoiffés de pouvoir sans foi ni loi envisagent sans crainte de gérer un pays dévasté par la violence, leur unique préoccupation étant l’enrichissement personnel et non le mieux-être de la population.
A l’opposé, le choix de la lutte non violente permet, en prenant sur soi et en maîtrisant le désir naturel de rendre les coups, de ne pas engager le pays dans le cycle infernal d’affrontements pouvant entraîner une guerre civile, la pire chose qui puisse arriver à un pays et à son peuple.
Voilà pourquoi, en plus des considérations morales exposées plus haut, le choix de la non violence est une politique plus responsable, plus soucieuse du futur, qui sera plus payante lorsque le moment sera venu pour des dirigeants légalement et légitimement élus, de gérer l’Etat.

Tout faire pour éviter d’alourdir le passif laissé par les dictateurs, tout en ne cédant pas sur les principes essentiels touchant la démocratie et le droit à la liberté : c’est la voie étroite que persistent à emprunter depuis deux ans les légalistes malgaches, suivant en cela l’exemple donné par leurs prédécesseurs en 1972, 1991 et 2002.
Une limite est toutefois posée à cette volonté de réclamer sans violence le rétablissement de la légalité républicaine et des libertés fondamentales : c’est la possibilité de manifester pacifiquement afin de montrer aux chancelleries présentes à Madagascar et au monde la force de l’opposition au coup d’Etat.
Or, tous les lieux publics, à Antananarivo comme en province, sont interdits aux légalistes.
A chaque démonstration réussie de leur capacité de mobilisation, des leaders légalistes sont emprisonnés et la répression renforcée. Il en fut ainsi après la seule fois où, voici quelques mois, les légalistes avaient pu obtenir l’autorisation de tenir un meeting au stade Malacam à Antananarivo : cette manifestation fut suivie de l’arrestation de trois leaders légalistes, dont le chef de leur délégation dans les négociations engagées sous les auspices de la SADC. Depuis lors, les légalistes sont de nouveau confinés dans l’espace privé très restreint du MAGRO de Behoririka, celui du MAGRO d’Ankorondrano,
un peu plus large, leur ayant été aussi interdit.
Il en est de nouveau ainsi actuellement : des centaines de milliers de légalistes n’ayant pu être empêchés de se rassembler le 19 février dernier devant l’aéroport international d’Ivato et le long de la route reliant l’aéroport à la capitale, à l’annonce du retour au pays du citoyen Marc Ravalomanana (qui fut empêché d’embarquer à Johannesburg suite à un NOTAM émis par le pouvoir putschiste), un attentat contre Andry Rajoelina (dont le seul résultat a été un pneu crevé du véhicule qui le transportait) survient très opportunément. Afin de permettre sans doute de durcir encore plus la répression et de procéder à d’autres arrestations.
Cette recette consistant à accuser les légalistes d’actes de violence montés de toutes pièces a été aussi utilisée par le pouvoir illégal chaque fois qu’une solution négociée était en vue dans les négociations, plusieurs fois interrompues sous la pression des faucons du camp putschiste, mais reprises grâce à la bonne volonté des légalistes et à l’endurance des médiateurs.
Aussi, si les emprisonnements de leaders légalistes devaient se poursuivre ; si les rares journalistes ayant encore le courage de faire leur métier devaient encore être arrêtés ; si tout rassemblement pacifique devait rester interdit aux opposants, alors le choix qui restera aux patriotes malgaches sera celui-ci : se résigner à voir Madagascar dirigée par les marionnettes de la Françafrique pour une période indéterminée, ou se lever en masse pour arracher leur départ.
Car ceux qui font une analyse superficielle des crises politiques à répétition qui secouent Madagascar à chaque décennie et les condamnent au nom de la nécessaire stabilité politique plus favorable, selon eux, au développement économique se trompent. Une autre lecture doit en être faite : Ces révoltes citoyennes cycliques expriment, non pas un manque de maturité politique, mais le refus obstiné des Malgaches d’être privés de liberté. Ce qui est un signe de maturité politique et civique.
Certes, des déceptions, il y en eut forcément et il y en aura encore. Elles sont le lot inévitable de la longue marche vers la démocratie sur un chemin semé d’obstacles d’origine à la fois interne et externe.
Ces obstacles sont liés à l’étendue et à la géographie du pays qui favorisent l’existence de nombreuses régions enclavées, aux mauvaises pratiques des politiciens, à la pauvreté endémique entretenue par la mauvaise gouvernance, mais entretenue aussi par les diktats des institutions internationales et par l’ancienne puissance coloniale prête à tout pour défendre les intérêts de ses entreprises.
Ce qui est admirable, c’est la capacité des citoyens malgaches à repartir au combat, malgré les déceptions qui ont suivi chaque victoire.
C’est qu’ils ont noté que, si toutes leurs attentes n’ont pas été remplies, un pas a été à fait dans la bonne direction chaque fois qu’ils ont vaincu.
Un tel attachement à la liberté, une telle répugnance à verser le sang, une telle endurance dans
l’épreuve, attestée par l’importance actuelle de la mobilisation anti-putschiste, deux ans après le coup
d’Etat, voilà qui ne peut pas venir d’un peuple sans qualités.
Oui, malgré les épreuves traversées, ce peuple prendra un jour son destin en main et sa place dans le
monde. Pacifiquement, comme ses traditions le demandent, et comme il l’a fait jusqu’ici. En exprimant sa colère, si on l’y contraint.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion

Se préparer à l'après crise

Madagascar Résistance
Lettre numéro 62 – mai 2011

Se préparer à l’après crise (suite) : la recherche d’un contre-pouvoir

Ainsi que nous l’avions écrit à plusieurs reprises, tôt ou tard, cette parenthèse tragique dans l’histoire malgache que constitue l’existence du pouvoir illégal se fermera. C’est pourquoi il est nous apparaît important, en dépit des circonstances actuelles, de préparer dès à présent la phase de reconstruction à venir, en vue d’un pays plus démocratique et plus prospère.
Il ne peut y avoir de démocratie sans contre-pouvoir.
Cette affirmation relève de l’évidence, tant les détenteurs du pouvoir, sur tous les continents et à travers les siècles, ont tous fait montre d’une fâcheuse tendance à élargir leurs domaines de contrôle et à prolonger leur mandat initial.
Les pays de tradition démocratique sont dotés de plusieurs contre-pouvoirs dont la puissance est en mesure de limiter les dérives des tenants du pouvoir, à défaut de les empêcher totalement. Le parlement, représentant institutionnel des citoyens, constitue le premier contre-pouvoir face au pouvoir exécutif. Dans ces pays de libre expression, les journalistes constituent un autre contre-pouvoir en contribuant fortement au façonnage de l’opinion publique, et donc du vote des électeurs, par les informations qu’ils diffusent. Un troisième contre-pouvoir est constitué dans ces pays démocratiques par la société civile regroupant les associations et organismes non gouvernementaux ainsi que les syndicats.
L’une des raisons de la fragilité des avancées de la démocratie à Madagascar est l’absence de contre-pouvoirs effectifs.


Premier contre-pouvoir : Le Parlement


Depuis le retour de l’indépendance en 1960 et jusqu’au coup d’Etat de 2009, l’assemblée nationale malgache n’a jamais joué le rôle qui lui a été assigné par les différentes constitutions qui se sont succédées : celui de contrôler, et le cas échéant, de sanctionner l’action gouvernementale. Et cela parce que les députés, dans leur immense majorité, ont toujours été sans légitimité réelle. Le drame a été que, malgré les vrais progrès dans la lutte contre les fraudes électorales réalisés sous la Troisième République, l’assemblée nationale a continué de faire montre de cette même faiblesse face au pouvoir exécutif, en raison notamment des mœurs politiques qui, elles, n’avaient pas évolué : mercenariat se traduisant par l’adhésion quasi systématique au parti du président de la République pour se faire élire, changement d’étiquette politique en cours de mandat pour rejoindre le groupe parlementaire au pouvoir, monnayage des votes etc.

Ainsi, face à des présidents de la République dotés de grands pouvoirs dans un système constitutionnel imsité de celui de la Cinquième République française, l’assemblée nationale malgache est demeurée, sous les régimes successifs, une simple chambre d’enregistrement entièrement soumise à l’exécutif.
Le fait que ces pratiques aient perduré sous les trois constitutions explique en grande partie la non résolution des conflits politiques dans le cadre constitutionnel, et les explosions de mécontentement populaire ayant conduit à des changements de régime en lieu et place de changements opérés dans le cadre constitutionnel.

Fallait-il, pour autant, suspendre l’assemblée nationale ?
Non, mille fois non ! Car cette assemblée, en dépit de ses faiblesses, constitue un élément essentiel de la démocratie malgache naissante, fût-elle imparfaite et encore en construction: la possibilité pour le peuple, propriétaire du pouvoir, de disposer de représentants et de porte paroles au plus haut niveau de l’Etat.
Se passer d’une assemblée nationale élue constitue ainsi la négation suprême de la démocratie. Il ne s’agit ni plus ni moins que de dénier aux citoyens la possession légitime du pouvoir, pouvoir qu’ils ne devraient que déléguer à tout élu, y compris le chef de l’Etat.

La suspension de l’assemblée nationale élue vide de son sens le mot "République". Si donc Madagascar doit rester une République, l’assemblée nationale élue doit continuer à exister. Mais pour que la démocratie soit plus effective, elle doit sortir de cette situation de faiblesse face à l’exécutif.
Pour qu’une telle situation de faiblesse évolue, il faut une évolution positive d’autres paramètres : moins de pauvreté chez les électeurs que les difficultés du quotidien rendent très vulnérables à toutes les manœuvres anti-démocratiques; alphabétisation des adultes afin de les désenclaver mentalement ; renforcement de l’éducation citoyenne afin d’éclairer et défendre les choix des électeurs; généralisation de l’accès aux informations. Il serait bien évidemment irréaliste de penser pouvoir faire évoluer simultanément tous ces paramètres. Mais ils sont interactifs entre eux. Il faut donc porter d’abord les efforts sur celui ou ceux qu’il est possible de modifier à plus court terme, ce qui facilitera le travail à faire ensuite sur les autres.

Moins de pauvreté

Malgré les progrès enregistrés entre 2002 et 2008 (7,5% de croissance moyenne) et salués par tous les partenaires multilatéraux et bilatéraux de Madagascar, le niveau du développement économique n’a pas permis d’améliorer suffisamment le quotidien de l’ensemble de la population malgache. C’est l’un des reproches faits à Marc Ravalomanana par certains sympathisants du putsch, comme le père Pedro : il y avait encore trop de pauvreté à Madagascar en 2009. Certes ! Qui pourrait le nier ? Mais les questions plus honnêtes à poser sont celles-ci : l’économie nationale était-elle ou non en croissance ? Etait-il possible, en sept ans, d’améliorer de façon significative le quotidien de l’ensemble de la population malgache quand, dans des pays émergents comme l’Afrique du Sud, la moitié de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté vingt ans après la fin de l’apartheid ? Il est significatif que ce chantre de la lutte contre la pauvreté soit aujourd’hui étrangement silencieux devant l’augmentation exponentielle du nombre de Malgaches plongés dans la misère depuis deux ans.
Il n’en demeure pas moins que pauvreté et démocratie ne font pas bon ménage.
La pauvreté dans laquelle vit encore la majorité des Malgaches explique ainsi en partie la persistance au sein de l’assemblée nationale de pratiques politiques contraires à son rôle de contre-pouvoir, y compris pendant la présidence de Marc Ravalomanana.
Mais l’exemple de l’Afrique du Sud mentionné plus haut, valable pour de nombreux autres pays émergents ou en voie de développement, montre que le recul de la pauvreté ne peut être obtenu à court terme, ni même à moyen terme, mais à long terme. Aussi, c’est sur les autres paramètres qu’il conviendra d’agir vigoureusement dès le retour de l’ordre constitutionnel à Madagascar.

Alphabétisation des adultes
Si l’alphabétisation des enfants a été une préoccupation constante des dirigeants successifs, avec une volonté politique plus marquée se traduisant par des moyens plus grands et un accroissement important du taux de scolarisation entre 2002 et 2009, l’alphabétisation des adultes est restée le parent pauvre de l’éducation à Madagascar. Le fait qu’elle ait été non pas confiée au Ministère de l’Education Nationale, mais à un ministère traditionnellement dénué de pouvoir et de ressources comme celui de la Population, parfois réduit à une simple direction générale, illustre le faible intérêt porté à l’alphabétisation des adultes. Et cependant, le lien entre l’analphabétisme, l’extrême pauvreté et l’incapacité qui en résulte de jouir des droits civiques et politiques du citoyen relève d’une évidence. A l’avenir, l’alphabétisation des adultes devra figurer parmi les grandes priorités nationales, au même titre que la scolarisation des enfants, si on veut voir reculer plus rapidement la pauvreté et augmenter le nombre d’adultes accessibles à l’éducation citoyenne. D’autant qu’il est l’un des paramètres de renforcement de la démocratie qu’il est possible de faire évoluer positivement à court terme et à un coût moindre. En effet, des méthodes rapides ayant fait leurs preuves existent ; les moniteurs peuvent être formés rapidement ; et il est tout à fait envisageable d’introduire un volet d’alphabétisation des adultes dans chacun des projets ou programmes de développement, d’amélioration de la santé ou de préservation de l’environnement ciblant les communautés de base, ce qui permettrait à la fois la multiplication des actions d’alphabétisation, leur dissémination sur l’ensemble du territoire, et une économie appréciable sur les dépenses.

Généralisation de l’accès aux informations et renforcement de l’éducation citoyenne
Depuis la fin des années quatre vingt, de louables efforts ont été fournis par des associations ou des organismes non gouvernementaux, notamment le KMF/CNOE ou Justice et Paix, pour renforcer l’éducation citoyenne à Madagascar. Entre 2002 et 2009, l’éducation civique a retrouvé une place dans les programmes scolaires aux niveaux primaire et secondaire. Toutefois, les résultats obtenus restent insuffisants à la fois en terme de pourcentage de population touchée et en terme d’intégration durable des valeurs républicaines.
Les enseignants, notamment ceux des écoles publiques devant déjà gérer des conditions inhumaines de travail (classes surchargées, inexistence de moyens pédagogiques, salaires de misère), ne sont pas toujours en mesure de donner à l’éducation civique de leurs élèves la place qu’il conviendrait.
Quant aux associations, leurs ressources humaines et financières limitées les obligent à intervenir essentiellement pendant les périodes électorales, ce qui est important, mais leurs actions d’éducation sont ensuite suivies de longues périodes d’absence du terrain, d’où la faiblesse de l’intégration durable de l’éducation citoyenne.
Pour une intégration plus durable de l’éducation citoyenne, c'est-à-dire l’acquisition de véritables réflexes démocratiques, il serait nécessaire que la constitution et l’importance de la respecter, mais aussi tous les textes ayant un impact direct sur la vie quotidienne de la population, ainsi que les grands enjeux économiques qui devraient être débattus, fassent l’objet d’explications en continu et dans des formes adaptées aux différents groupes sociaux. Afin que la propagande politicienne soit contrebalancée par une campagne civique permanente. Pour ce faire, les médias les mieux adaptés à la situation socioéconomique malgache seraient les radios de proximité.
Mais il ne faut pas attendre des gouvernants, qui tirent bénéfice de l’ignorance ou de l’indifférence de la population par rapport à ces sujets, qu’ils prennent l’initiative de cette campagne civique permanente. Ceci d’ailleurs est vrai dans tous les pays du monde. Toutefois, dans les pays de tradition démocratique et économiquement avancés, il est possible aux populations d’avoir accès aux informations, en dehors des canaux officiels. Ce qui est très loin d’être le cas pour les Malgaches.
C’est pourquoi il est important pour l’avenir de la démocratie à Madagascar où les effets du coup d’Etat font reculer dans un futur encore plus lointain la possibilité d’une baisse de la pauvreté, que la société civile se prépare, dès à présent, à cette tâche d’éducation citoyenne permanente, et à l’entreprendre dès le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

Deuxième contre-pouvoir : Les journalistes

Bien que la presse à Madagascar puisse s’enorgueillir d’être plus que centenaire, et que la liberté de presse y soit devenue une réalité avec la fin de la censure en 1989 et la multiplication des télévisions et des radios privées depuis 1992, les journalistes malgaches n’ont pas joué le rôle de contre-pouvoir positif et de catalyseur de la démocratie qui était attendu d’eux, à quelques rares exceptions près. Et cela même avant le coup d’Etat de 2009 dont les auteurs ont supprimé, depuis, la liberté de presse et fermé des dizaines de médias.
Au contraire, en tant que détenteurs d’un pouvoir dont ils ne respectaient pas en contrepartie les règles déontologiques, la majorité de ces journalistes a activement desservi la démocratie.
Parmi les nombreuses causes à l’origine d’une telle situation, on peut relever notamment la faiblesse des salaires, non seulement dans les médias publics mais également dans les médias privés et l’insuffisance de formation. A cela s’ajoutent, pour les journalistes des médias privés le manque de moyens logistiques mis à leur disposition, les obstacles que constituent chez les responsables gouvernementaux, le réflexe du secret d’Etat hérité de la longue période socialisante et l’absence d’une culture de la communication. Pour toutes ces raisons, l’émergence d’un journalisme d’investigation est extrêmement difficile.
Ainsi, le rétablissement de la liberté de presse à Madagascar, exigé à juste titre par tous les tenants de la démocratie, ne suffira pas à faire du journalisme malgache un contre-pouvoir effectif. De plus, la faiblesse du marché intérieur lié au pouvoir d’achat, encore dégradé par cette longue crise, ne permettra pas aux patrons de presse d’améliorer dans un futur proche les conditions de travail de leurs journalistes, et l’exercice de leur profession sera aussi difficile, sinon plus difficile qu’auparavant. Aussi n’est-ce pas faire preuve de pessimisme de dire qu’il faudra beaucoup de temps encore avant que les journalistes malgaches puissent constituer un contre-pouvoir effectif face à ceux qui gouverneront leur pays.
Mais, à l’instar de ce qui a été dit plus haut pour l’assemblée nationale élue, la liberté de la presse est un élément essentiel de la démocratie, et à ce titre elle doit être préservée, même si l’usage qui en est fait par les journalistes doit encore être amélioré.

Troisième contre-pouvoir : La société civile


`La crise politique actuelle a donné une plus grande visibilité à la société civile malgache.
Pour la première fois, des regroupements et des plateformes représentatifs de cette société civile ont revendiqué le droit de jouer un rôle dans la recherche d’une sortie de crise politique. Mais le fait qu’une entité comme la Coordination des Organisations de la Société Civile (CNOSC) ait pu être délibérément et à plusieurs reprises écartée de la médiation, aussi bien par une partie de la classe politique que par les médiateurs internationaux et ce, lors de phases cruciales, montre que la société civile malgache doit encore se renforcer afin de pouvoir se faire entendre. Toutefois, elle dispose dores et déjà de plusieurs atouts qui devraient faire d’elle le contre-pouvoir le plus susceptible d’être effectif dans un laps de temps relativement court.
Son premier atout est le nombre impressionnant d’associations et d’organismes non gouvernementaux enregistrés depuis 1993, date de la libéralisation de la vie associative à Madagascar. Son deuxième atout est de disposer, à la tête de certaines plateformes civiles, de personnalités très compétentes. Son troisième atout est constitué par une expérience, pour certaines de ses composantes, de près de deux décennies de travail sur le terrain, et donc d’une réelle connaissance des réalités du pays. Enfin, la société civile est susceptible de bénéficier d’un appui financier des bailleurs de fonds internationaux plus important que par le passé, en particulier après cette crise qui aura montré le peu de confiance que l’on peut accorder à une classe politique malgache aussi prolifique que non représentative.
Pour l’avenir de la démocratie à Madagascar, compte tenu du temps qu’il faudra aux médias pour jouer un rôle de contre-pouvoir effectif, et au vu de l’importance ainsi que de l’urgence du renforcement de l’éducation citoyenne, il est essentiel que la société civile malgache se prépare dès à présent à être le contre-pouvoir véritablement effectif à court terme. Il est essentiel que, dans un premier temps, elle consacre tous ses efforts à la mise en place d’un système permanent d’information et d’éducation des citoyens. Il sera essentiel, dans un deuxième temps, qu’elle puisse acquérir une force de mobilisation des citoyens autour de la défense des valeurs de liberté et de justice sociale.
Ce sera effectivement faire de la politique, expression encore taboue dans de nombreuses associations, mais dans le sens le plus noble du terme.
Partout, dans le monde, les associations civiles qui se font entendre sont celles qui ont la plus grande capacité de mobilisation de leurs membres et de l’opinion publique.
En défendant publiquement leurs idées ou en s’opposant publiquement à des décisions prises par les dirigeants, elles font de la politique, mais dans le sens le plus noble du terme.

Pour s’être au début de cette crise, interdites de mobiliser leurs membres contre les atteintes à la légalité constitutionnelle et aux libertés, au prétexte de préserver un rôle de médiation que les putschistes n’étaient pourtant pas, et ne sont toujours pas disposés à leur accorder, certaines associations civiles aujourd’hui membres de la CNOSC ont privé cette coordination de la seule carte maîtresse qui aurait pu lui permettre d’être respectée et entendue : la capacité éventuelle de mobiliser autour de sa position républicaine un nombre suffisamment grand de Malgaches pour impressionner certaines chancelleries et les médiateurs internationaux.

Pour exister en tant que contre-pouvoir dans les grands enjeux à venir, la société civile malgache devra cesser de confondre non appartenance à un parti politique et neutralité non efficiente.

La société civile malgache cessera d’être pusillanime ou elle ne sera pas.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion

Pire que l’aveuglement : le refus de voir

Les analystes français ne cessent, depuis la révolution en Tunisie, de mettre en exergue le décalage de la diplomatie de leur pays par rapport aux réalités. Certains d’entre eux parlent "d’aveuglement". Ce n’est pas le terme qui nous semble convenir, car l’aveuglement est un état provoqué par une cause externe dont on est involontairement victime. Il serait plus approprié de parler "d’un refus de voir" ces réalités.
Ce refus entraîne chez les concepteurs actuels de la diplomatie française une incapacité à sortir de schémas mentaux et de schémas politiques rendus obsolètes par les changements des mentalités et des réalités chez les populations hors d’Europe.

Henri de Raincourt refuse de voir qu'une manifestation monstre a eu lieu a Antananarivo pendant sa visite aux putchistes

Le dernier exemple en date de ce "refus de voir" a été donné par le nouveau secrétaire d’Etat français à la Coopération. Il n’a pas vu les centaines de milliers de légalistes malgaches qui ont manifesté le 19 février dernier leur opposition à la HAT et leur soutien au retour de Marc Ravalomanana dans son pays pour participer directement aux négociations en cours. Cette manifestation a pourtant eu lieu pendant sa visite auprès de dirigeants non reconnus et condamnés par l’Union Européenne dont la France fait partie. Mais il semble que pour ce secrétaire d’Etat, cette foule immense rassemblée aux abords de l’aéroport international d’Ivato et tout le long de la route entre Antananarivo et l’aéroport fait partie de ce qu’il qualifie de "secondaire" dans son analyse de la situation à Madagascar.
Bien opportunément, les médias français ont ramené le nombre des manifestants à dix mille, histoire de les rendre moins voyants sans doute.
Pour éviter les querelles de chiffres sur le nombre de manifestants, nos lecteurs sont invités à visionner les nombreuses images visibles sur plusieurs sites. Ils peuvent également se livrer à un calcul très simple : combien de personnes faut-il pour remplir totalement une portion longue de près de 6 km d’une large route ? Ce fut le cas entre le carrefour de Talatamaty et l’aéroport d’Ivato le samedi 19 février 2011. Au chiffre ainsi estimé, il faut ajouter tous ceux qui attendirent plus bas le long de la route entre la ville et l’aéroport. Mais Monsieur de Raincourt ne les a pas vus ou a refusé de les voir.

La France soutient un Etat, peu importe le régime

Non seulement les acteurs de la diplomatie française s’auto-aveuglent, ils prennent aussi les populations auxquelles ils s’adressent pour des demeurés. Ainsi les journalistes tunisiens posent des "questions débiles et nulles". Et les
Malgaches sont priés de croire que malgré les faits qui crient le contraire, le gouvernement français ne soutient pas les putschistes chez eux.
En effet, pour justifier l’injustifiable ; pour justifier le soutien français à un régime officiellement condamné par l’ensemble de la communauté internationale ;
pour justifier le soutien français à un régime qui refuse à ses opposants le droit de tenir des meetings pacifiques dans les lieux publics ; pour justifier le soutien français à un régime qui a fermé des dizaines de médias pour ne laisser s’exprimer que ceux qui sont à ses ordres ; pour justifier le soutien français à un régime qui arrête, emprisonne, intimide les opposants ou leurs familles,
Monsieur de Raincourt avance ce subtil distinguo : "La France soutient un Etat et non un régime".
Voilà donc l’explication du soutien prolongé apporté aux Etats respectivement dirigés par les Ben Ali, Moubarak, Khadafi, Bongo père et fils, et tant d’autres dictateurs en Afrique.
On aimerait bien voir la réaction des Tunisiens, des Egyptiens ou des Lybiens si une telle explication leur était avancée aujourd’hui par les diplomates français.
A moins qu’un tel mépris pour la capacité d’analyse et pour les sentiments des gens soit réservé à l’Afrique sub-sahariennne ?

Des ambassadeurs "New style"

Jamais le manque de pragmatisme souvent reproché à la politique étrangère française n’a été aussi flagrant, en comparaison avec la politique de la Grande Bretagne, autre ancienne puissance coloniale. Et cela parce qu’à la rigidité du modèle mis en place par De Gaulle voici 50 ans pour les relations avec les anciennes colonies, s’ajoute le choix contestable d’ambassadeurs issus non pas du corps des diplomates formés à cet effet, mais des cabinets présidentiel et ministériels, comme c’est le cas pour Madagascar depuis mars 2009 et récemment pour la Tunisie.
Ces deux ambassadeurs "new style" ont en commun l’arrogance et le non respect des usages diplomatiques. Nous avions stigmatisé la posture de gouverneur colonial adopté par l’actuel ambassadeur de France à Madagascar dans notre Lettre n°4. Parmi les nombreuses illustrations de ce comportement, nous citerons pour mémoire le traitement inqualifiable qu’il infligea au Professeur Adolphe Rakotomanga, Maître de conférence à l’université d’Antananarivo et ancien ministre de l’Education Nationale, venu à son invitation dans les locaux de son ambassade (Voir notre Lettre n° 12 ).
La virulence de la réaction des Tunisiens, enfin libres de manifester, et la nécessité de ménager un pays du Maghreb, ont contraint l’ambassadeur français à faire des excuses publiques, après s’être comporté comme un éléphant dans un magasin de porcelaines alors qu’il devait recoller les morceaux des relations franco-tunisiennes.
Malheureusement, la violence de la répression n’a jusqu’ici pas permis aux Malgaches d’exprimer leur colère envers Jean-Marc Chataignier. Cette colère n’en est pas moins grande.
Et la visite aux auteurs du coup d’Etat de Monsieur de Raincourt en cette étape critique de la crise à Madagascar a été ressentie par les légalistes (Voir dans notre Lettre n°34 ce que renferme cette appellation) comme un véritable attentat contre leur démocratie naissante.

Dans la mémoire des tenants de la démocratie et de la souveraineté nationale à Madagascar, l’attitude et les actions du gouvernement français depuis 2009 seront assimilables à la répression de 1947.

Avec la circonstance aggravante d’avoir utilisé des Malgaches pour tenir les fusils dans le premier coup d’Etat survenu dans la Grande Ile.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion

Attention aux Iles Eparses

Madagascar Résistance
Lettre numéro 63 – mai 2011

Rappel du contexte du droit international

Nous avions consacré, en septembre et en octobre 2010, trois numéros (n°31, 32 et 33) au dossier sur les Iles Eparses.

Dans ces trois numéros, nous avions axé nos informations et nos analyses sur le nouveau contexte géopolitique qui fait de cette partie sud-ouest de l’Océan Indien une zone essentielle pour l’avenir du commerce mondial et sur le droit international. Ainsi, dans notre lettre n°31 nous nous posions la question de savoir si la diversification des partenaires économiques de Madagascar opérée par Marc Ravalomanana, et la part obtenue par Total dans l’exploitation du pétrole jugée insuffisante par Paris expliquaient à elles seules la détermination totale de la France à garder coûte que coûte sous son contrôle les dirigeants présents et à venir de Madagascar. Et nous étions arrivés à la conclusion que si nous détournions les yeux du chiffon rouge que constituent les négociations inter-malgaches pour sortir de la crise politique, si nous prenions du recul, nous verrions se dessiner les contours d’une grande manœuvre dont l’enjeu n’est ni plus ni moins que mondial comme le montrait une analyse de Mohammed Hassan, spécialiste de géopolitique et du monde musulman.

Pour ce dernier, "Les rapports de force à l’échelle mondiale sont en plein bouleversement. Et la région de l’océan Indien se trouve au cœur de cette tempête géopolitique. …Comme le prédit le journaliste américain Robert D. Kaplan, proche conseiller d’Obama et du Pentagone, l’océan Indien va devenir le centre de gravité stratégique mondial du 21ème siècle. Non seulement cet océan constitue un passage vital pour le commerce et les ressources énergétiques entre le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est, mais il est aussi au cœur de l’axe économique qui se développe entre la Chine , d’une part, et l’Afrique et l’Amérique Latine, d’autre part.

... La troisième stratégie chinoise, surnommée « collier de perles », consiste à construire des ports dans des pays amis le long de la côte nord de l’océan Indien. Objectif : disposer d’un trafic maritime autonome dans cette région. Ceci aurait de grandes conséquences pour l’Afrique. Des pays comme le Mozambique, la Somalie, l’Afrique du Sud ou Madagascar pourraient rejoindre ce grand réseau de l’océan Indien. Si l’on y développe de nouveaux ports comme celui de Gwadar, cela provoquerait un boom économique considérable dans cette région d’Afrique. Parallèlement, les activités des grands ports européens comme Marseille ou Anvers déclineraient. Connecter l’Afrique au marché asiatique grâce à l’océan Indien serait une véritable aubaine pour le continent noir. Nelson Mandela, lorsqu’il était président de l’Afrique du Sud, souhaitait voir aboutir ce projet mais les Etats-Unis et l’Europe s’y opposèrent. Aujourd’hui, la Chine a les moyens de prendre les devants.

Cet axe Sud-Sud se met en place : les pays du tiers monde échappent aux divisions instaurées entre eux et coopèrent de plus en plus. Le monde est en plein bouleversement !» (Voir l’intégralité de l’interview donnée par Mohammed Hassan en annexe sur notre blog)

S’agissant du droit international applicable au contentieux opposant Madagascar à la France à propos des Iles Eparses, nous écrivions dans notre Lettre n°33 que « concernant le respect du droit, le professeur de droit international André Oraison confirme le bien fondé de la revendication de Madagascar sur les Iles Eparses dans le canal de Mozambique et souligne par ailleurs que l’Etat malgache est le seul à pouvoir éventuellement revendiquer l’île de Tromelin, dans une tribune libre parue dans le Quotidien de La Réunion du 20/6/10, suite à l’accord cadre franco-mauricien signé le 7 juin 2010 établissant une cogestion de Tromelin. Et que "lors d’une conférence donnée à Saint Paul le 6 octobre2010, le professeur André Oraison a réitéré la non-conformité au droit international du décret d’avril 1960 (adopté par le gouvernement français 24 heures avant celui proclamant le retour de l’indépendance de Madagascar) soustrayant les Iles Eparses du territoire de la république malgache".

Prochaine étape : Les Nations Unies

La Commission des Nations Unies chargée des limites du plateau continental devant examiner durant sa session qui se tiendra du 1er août au 2 septembre prochain le dossier déposé par Madagascar le 29 avril 2010, il nous paraît aujourd’hui opportun de traiter de nouveau ce sujet dans le présent numéro.
Paradoxalement, ou bien faudrait-il dire « évidemment », compte tenu des liens entre le pouvoir putschiste et Paris, les médias malgaches n’ont pas abordé en 2009 le sujet des Iles Eparses, à l’exception du journal « Taratra » qui a protesté, dans un article en date du 29 juin 2009, contre l’octroi par le gouvernement français en décembre 2008 d’un permis de recherche pétrolière au large de Juan de Nova à trois sociétés. (Voir l’arrêté du ministère français de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire en annexe sur notre blog).

On a observé le même silence des médias malgaches après l’accord-cadre portant sur la gestion de Tromelin signé entre la France et l’Ile Maurice en juin 2010. Et c’est par le Journal de l’Ile de la Réunion (17/05/11) que l’on apprend que "Madagascar a déposé en avril dernier une demande d’extension de son plateau continental au-delà de la limite des 200 milles nautiques de la zone économique exclusive".

Ainsi, sur un sujet aussi important pour Madagascar en termes de ressources marines et sous-marines potentielles supplémentaires offertes par les Iles Eparses ; de sécurité militaire vu la proximité de ces dernières par rapport aux côtes malgaches ; de sécurité environnementale vu les risques de pollution du Canal de Mozambique par les nombreux navires pétroliers qui le sillonnent alors que l’essentiel des ressources halieutiques et touristiques malgaches se trouvent le long de ce canal, les Malgaches n’ont reçu et ne reçoivent encore aucune information.

Ils sont tenus dans l’ignorance des enjeux et du contenu du dossier déposé aux nations Unies. Ils ne sont ainsi pas en mesure d’apprécier si le dossier déposé défend bien les intérêts de leur pays ou non.
Ils ne sont pas mobilisés, alors qu’ils devraient l’être, toutes tendances politiques confondues, autour de la défense de ces intérêts. Manque de professionnalisme des médias malgaches ou impossibilité d’aborder ce sujet pour "des journalistes (qui) ont cette année encore été soumis à des manœuvres d’intimidation et à des actes de harcèlement" ou pour "des organes de presse privés et ceux perçus comme ayant des liens avec l’opposition (qui) ont été pris pour cible (parmi lesquels) trois stations de radio au moins ont été interdites" ? (Rapport 2011 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde)

Mais certainement manque de sens politique des leaders de l’opposition à qui il revient également de combler ce manque d’information, sur les Iles Eparses comme sur tous les autres sujets d’importance nationale.
C’est peut-être là une des raisons qui ralentit le rassemblement de tous ceux, chaque jour de plus en plus nombreux, qui souhaitent la fin de la situation actuelle en une masse qu’il serait difficile de contenir.
Rassembler autour des principes et des positions politiques est utile mais non suffisant. Informer le plus grand nombre possible de citoyens sur les enjeux d’envergure nationale, sur les défis qu’il faudra relever pour reconstruire le pays, en mettant en exergue ce que l’on se propose de faire, et en insistant sur le caractère à la fois impératif et urgent du rétablissement de l’ordre constitutionnel pour pouvoir redresser le pays, accélèrera la mobilisation .

Fidèles à notre objectif de contribuer à une meilleure information et à la défense des intérêts de la Grande Ile, nous renouvelons à travers ce numéro notre appel à la vigilance et à la mobilisation de toutes les compétences nationales malgaches autour du dossier des Iles Eparses.
Il serait criminel de faire passer les intérêts politiques ou financiers des uns ou des autres avant le devoir qui nous est fait de protéger l’avenir des générations qui vont nous succéder.
Parmi les personnes ressources dont Madagascar dispose figure en tête le Professeur Raymond Ranjeva qui ajoute à ses compétences juridiques mondialement reconnues, une connaissance approfondie de ce dossier.

Intégrer le Professeur Raymond Ranjeva dans l’équipe en charge du dossier des Iles Eparses serait un signal positif vers l’espoir d’un possible retour à l’ordre normal des choses, un signal vers le possible dépassement des querelles politiques par le truchement d’actions communes menées pour le bien du pays commun.

Car ne l’oublions pas : les vicissitudes politiques passeront, mais Madagascar demeurera.

Dans le cas contraire, ce serait la confirmation de l’oubli ou du mépris des intérêts vitaux de Madagascar, ce dont les responsables devront un jour rendre compte.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion