Les analystes français ne cessent, depuis la révolution en Tunisie, de mettre en exergue le décalage de la diplomatie de leur pays par rapport aux réalités. Certains d’entre eux parlent "d’aveuglement". Ce n’est pas le terme qui nous semble convenir, car l’aveuglement est un état provoqué par une cause externe dont on est involontairement victime. Il serait plus approprié de parler "d’un refus de voir" ces réalités.
Ce refus entraîne chez les concepteurs actuels de la diplomatie française une incapacité à sortir de schémas mentaux et de schémas politiques rendus obsolètes par les changements des mentalités et des réalités chez les populations hors d’Europe.
Henri de Raincourt refuse de voir qu'une manifestation monstre a eu lieu a Antananarivo pendant sa visite aux putchistes
Le dernier exemple en date de ce "refus de voir" a été donné par le nouveau secrétaire d’Etat français à la Coopération. Il n’a pas vu les centaines de milliers de légalistes malgaches qui ont manifesté le 19 février dernier leur opposition à la HAT et leur soutien au retour de Marc Ravalomanana dans son pays pour participer directement aux négociations en cours. Cette manifestation a pourtant eu lieu pendant sa visite auprès de dirigeants non reconnus et condamnés par l’Union Européenne dont la France fait partie. Mais il semble que pour ce secrétaire d’Etat, cette foule immense rassemblée aux abords de l’aéroport international d’Ivato et tout le long de la route entre Antananarivo et l’aéroport fait partie de ce qu’il qualifie de "secondaire" dans son analyse de la situation à Madagascar.
Bien opportunément, les médias français ont ramené le nombre des manifestants à dix mille, histoire de les rendre moins voyants sans doute.
Pour éviter les querelles de chiffres sur le nombre de manifestants, nos lecteurs sont invités à visionner les nombreuses images visibles sur plusieurs sites. Ils peuvent également se livrer à un calcul très simple : combien de personnes faut-il pour remplir totalement une portion longue de près de 6 km d’une large route ? Ce fut le cas entre le carrefour de Talatamaty et l’aéroport d’Ivato le samedi 19 février 2011. Au chiffre ainsi estimé, il faut ajouter tous ceux qui attendirent plus bas le long de la route entre la ville et l’aéroport. Mais Monsieur de Raincourt ne les a pas vus ou a refusé de les voir.
La France soutient un Etat, peu importe le régime
Non seulement les acteurs de la diplomatie française s’auto-aveuglent, ils prennent aussi les populations auxquelles ils s’adressent pour des demeurés. Ainsi les journalistes tunisiens posent des "questions débiles et nulles". Et les
Malgaches sont priés de croire que malgré les faits qui crient le contraire, le gouvernement français ne soutient pas les putschistes chez eux.
En effet, pour justifier l’injustifiable ; pour justifier le soutien français à un régime officiellement condamné par l’ensemble de la communauté internationale ;
pour justifier le soutien français à un régime qui refuse à ses opposants le droit de tenir des meetings pacifiques dans les lieux publics ; pour justifier le soutien français à un régime qui a fermé des dizaines de médias pour ne laisser s’exprimer que ceux qui sont à ses ordres ; pour justifier le soutien français à un régime qui arrête, emprisonne, intimide les opposants ou leurs familles,
Monsieur de Raincourt avance ce subtil distinguo : "La France soutient un Etat et non un régime".
Voilà donc l’explication du soutien prolongé apporté aux Etats respectivement dirigés par les Ben Ali, Moubarak, Khadafi, Bongo père et fils, et tant d’autres dictateurs en Afrique.
On aimerait bien voir la réaction des Tunisiens, des Egyptiens ou des Lybiens si une telle explication leur était avancée aujourd’hui par les diplomates français.
A moins qu’un tel mépris pour la capacité d’analyse et pour les sentiments des gens soit réservé à l’Afrique sub-sahariennne ?
Des ambassadeurs "New style"
Jamais le manque de pragmatisme souvent reproché à la politique étrangère française n’a été aussi flagrant, en comparaison avec la politique de la Grande Bretagne, autre ancienne puissance coloniale. Et cela parce qu’à la rigidité du modèle mis en place par De Gaulle voici 50 ans pour les relations avec les anciennes colonies, s’ajoute le choix contestable d’ambassadeurs issus non pas du corps des diplomates formés à cet effet, mais des cabinets présidentiel et ministériels, comme c’est le cas pour Madagascar depuis mars 2009 et récemment pour la Tunisie.
Ces deux ambassadeurs "new style" ont en commun l’arrogance et le non respect des usages diplomatiques. Nous avions stigmatisé la posture de gouverneur colonial adopté par l’actuel ambassadeur de France à Madagascar dans notre Lettre n°4. Parmi les nombreuses illustrations de ce comportement, nous citerons pour mémoire le traitement inqualifiable qu’il infligea au Professeur Adolphe Rakotomanga, Maître de conférence à l’université d’Antananarivo et ancien ministre de l’Education Nationale, venu à son invitation dans les locaux de son ambassade (Voir notre Lettre n° 12 ).
La virulence de la réaction des Tunisiens, enfin libres de manifester, et la nécessité de ménager un pays du Maghreb, ont contraint l’ambassadeur français à faire des excuses publiques, après s’être comporté comme un éléphant dans un magasin de porcelaines alors qu’il devait recoller les morceaux des relations franco-tunisiennes.
Malheureusement, la violence de la répression n’a jusqu’ici pas permis aux Malgaches d’exprimer leur colère envers Jean-Marc Chataignier. Cette colère n’en est pas moins grande.
Et la visite aux auteurs du coup d’Etat de Monsieur de Raincourt en cette étape critique de la crise à Madagascar a été ressentie par les légalistes (Voir dans notre Lettre n°34 ce que renferme cette appellation) comme un véritable attentat contre leur démocratie naissante.
Dans la mémoire des tenants de la démocratie et de la souveraineté nationale à Madagascar, l’attitude et les actions du gouvernement français depuis 2009 seront assimilables à la répression de 1947.
Avec la circonstance aggravante d’avoir utilisé des Malgaches pour tenir les fusils dans le premier coup d’Etat survenu dans la Grande Ile.
Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion
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