mardi 14 février 2012

Des intellectuels sortent du silence et publient un livre sur le coup d’état à Madagascar
« Madagascar, le coup d’état de 2009 » : c’est sous ce titre sobre que les éditions Karthala ont publié un nouveau livre consacré à Madagascar le 9 février dernier. Une douzaine d’intellectuels malgaches et étrangers a travaillé sous la direction du Professeur Solofo Randrianja (Université de Toamasina) pour produire ce qui se présente comme l’ouvrage le plus analytique sur le sujet à ce jour. « Ces 336 pages montrent que leurs auteurs dans leurs cercles respectifs ne sont pas restés inactifs contrairement aux jugements péremptoires sur la défection des élites intellectuelles » souligne le Pr. Randrianja, qui explique le choix de Karthala par son statut de maison d’édition spécialisée sur les ouvrages universitaires et/ou de réflexion sur le monde non européen.

Le titre en lui-même marque déjà un positionnement en choisissant de parler de « coup d’état » et non de « crise ». « Le vocable « crise » dépersonnalise et désincarne un conflit social dans lequel une des parties a délibérément choisi de se saisir du pouvoir le 17 mars 2009 et de s’y maintenir ensuite par la force, en faisant fi des règles établies et d’une culture démocratique en construction, et en causant des victimes et des dégâts matériels dont nous continuons à subir les conséquences » explique le Pr. Randrianja. « Le titre est sans ambiguïté car c’est l’une des thèses du livre. Si Madagascar est au ban des nations, c’est que tout le monde, y compris la France politique, reconnait qu’il y a eu prise de pouvoir anticonstitutionnelle, donc coup d’Etat ».

Ce livre collectif a vu la participation d’auteurs venant d’horizons divers. Solofo Randrianja est professeur d’histoire politique contemporaine à l’Université de Tamatave (Madagascar) et collabore avec plusieurs centres de recherche internationaux, tel Freeedom House. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Sociétés et luttes anticoloniales. Madagascar 1896-1946 (Karthala, 2001). Il anime la section dédiée à l’histoire de la colonisation française sur H-Net, et est le co-éditeur en chef de la revue Identity, Culture and Politics, an Afro Asian Dialogue. La Taiwan Foundation for Democracy l’a récemment commissionné pour travailler sur les formes non occidentales de la démocratie. Il a regroupé autour de lui une équipe venant d’horizons pluridisciplinaires :

des juristes (Raymond Ranjeva, ancien Vice-président de la Cour internationale de justice ; Justine Rajanita ainsi que l’avocate Vony Rambolamanana) ;
des chercheurs en science politique (Juvence Ramasy, Mathilde Gingembre, Patrick Waeber) ;
des chercheurs et activistes dans le milieu de l’environnement (Hery Randriamalala, Lucienne Wilmé) ;
des personnes intervenant dans le milieu des médias traditionnels ou sociaux (Mboara Andrianarimanana, Ndimby Andrianavalona, et Patrick Rakotomalala plus connu sous son nom de plume Lalatiana Pitchboule).

Solofo Randrianja avoue que la mise en place de cette équipe a été ardue. « Il y a eu un cercle initial d’amis et de collègues qui avait convenu de collaborer à un livre collectif. Mais la vie étant ce qu’elle est, le cercle s’est délité dans un climat délétère (intimidations, arrestations, etc…) ». Par crainte, par lassitude, par découragement ou par manque de temps, beaucoup d’auteurs pressentis ont préféré abandonner le projet. « Je me suis alors rabattu sur les réseaux sociaux pour créer un réseau virtuel. Je ne connaissais pas la plupart des auteurs. Tous ont écrit pour le plaisir de laisser leurs réflexions en héritage pour les débats du présent et du futur ».

Malgré la présence de certaines signatures ayant la réputation de peu de sympathie envers le pouvoir de transition, le Pr. Randrianja se défend d’avoir voulu faire publier un ouvrage d’opposants : « Etant donné le thème, il est difficile, du moins pour un intellectuel, de légitimer un coup d’Etat contre un régime élu même si les conditions des élections ne sont pas satisfaisantes. Ce n’est pas faire preuve d’opposition que de dire la vérité ».

L’objectif des auteurs est de faire un livre pour comprendre le coup d’Etat : « C’est un ouvrage analytique. A travers leurs réflexions, les différents auteurs vont au-delà de la simple description du coup d’Etat, mais essaient d’en démonter les mécanismes lointains ou immédiats, ainsi les implications des politiques géostratégiques des puissances, de l’armée etc… A partir de ce positionnement, il faut essayer d’en comprendre les mécanismes plus que de désigner des coupables » précise Solofo Randrianja, qui explique le choix d’une maison d’édition à l’étranger par le réalisme. « A Madagascar, peu de gens lisent, car la culture du livre et de la lecture a décliné depuis la fin de la période socialiste. De plus, le prix d’édition autant que le prix de vente aurait considérablement réduit la portée du livre ».

Le livre peut déjà être acheté auprès du site internet des éditions Karthala, ou de grands libraires en ligne tel qu’Amazon. Il sera présenté officiellement dans les locaux de l’Université de Paris- Diderot (Paris VII) le mercredi 15 février à 18 heures.


Sommaire :

  • Le coup d’État de mars 2009, chronologie et causes (S. Randrianja)

  • Coup d’État et violations de la Constitution (Justine Rajanita)

  • Militaires et système politique (Juvence F. Ramasy)

  • Les Églises malgaches dans la crise de 2009 (Mathilde Gingembre)

  • Les cyber-verts contre le trafic de bois de rose malgache (Hery Randriamalala, Patrick O. Waeber et Lucienne Wilmé)

  • La presse sous pression (Ndimby Andrianavalona)

  • Les jeunes de Tanananarive comme exutoire (Mboara Andrianarimanana)

  • L’État de droit, la règle de droit, et le mouvement légaliste (Vony Rambolamanana)

  • Implicites de la crise malgache et diplomatie française (Patrick Rakotomalala)

  • Les années Ravalomanana (2002-2009) : Politique et libéralisme économique (Solofo Randrianja)

  • Postface. Constitutionnalismes et sorties de crise à Madagascar (Raymond Ranjeva)


Source : Madagascar-tribune lundi 13 février 2012

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